Les mensonges des enfants en disent beaucoup sur eux et sur leurs parents
Qu’un petit sorte un bobard est souvent considéré comme quelque chose de problématique. Mais qu’il en soit capable marque une étape importante dans son développement.
Gadda Salhab, University of Portsmouth
Avez-vous regardé ce jouet ? Ainsi interrogés dans le cadre d’une étude sur le mensonge chez les tout-petits, 40 % des jeunes participants ont répondu par l’affirmative alors même qu’ils n’avaient pas jeté un seul coup d’œil au jeu. Lorsqu’un si grand nombre d’enfants invente des mensonges sans avoir le moindre avantage à en tirer, cela signifie qu’il ne faut pas voir là seulement d’insolents bobards.
Des chercheurs de Pologne et du Canada ont testé la maîtrise de soi des enfants à l’âge de 18 mois en leur demandant de ne pas regarder un jouet. Les 252 participants ont été testés à nouveau à l’âge de deux ans, puis six mois plus tard. Seuls 35 % d’entre eux ont désobéi à la demande de ne pas regarder, mais 27 % d’entre eux ont prétendu à tort qu’ils avaient respecté la consigne.
Dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent que le mensonge est une faute morale. Pourtant, dans certains cadres d’interactions sociales, les enfants peuvent aussi être encouragés à mentir. Si de nombreux parents disent explicitement à leurs enfants de ne pas déformer la vérité, soulignant l’importance d’être honnête, ils leur transmettent aussi des messages nuancés sur l’honnêteté. Par exemple, ils peuvent affirmer qu’il est parfois acceptable de dire de petits mensonges pour protéger les sentiments d’autrui.
Nombreuses sont les raisons pour lesquelles les enfants de l’étude ont pu faire de faux aveux. Ils étaient si jeunes qu’ils ont peut-être eu du mal à comprendre la question. Nous savons que les enfants ont tendance à dire oui plus facilement que les adultes lorsqu’on leur pose des questions de type oui-non.
Les recherches montrent que les enfants ont besoin d’explorer et de tester les limites d’un nouveau concept avant de le comprendre. Le jeu et l’apprentissage sont intimement liés, en particulier pour les enfants.
Le fait de raconter des bobards apparaît dans les années préscolaires. Les enfants de deux ans en sont déjà capables. Le mensonge va de pair avec la progression des compétences sociales des enfants. Bien que considéré comme un comportement problématique, il est également le signe d’un développement cérébral sain chez les enfants et constitue une étape importante sur le plan cognitif.
Les premiers mensonges des enfants ne comportent que quelques mots. Au fur et à mesure que leurs capacités cognitives se développent, leurs mensonges deviennent plus complexes et peuvent être maintenus plus longtemps.
Des compétences émotionnelles en jeu
Pour mentir, trois éléments sont nécessaires. Premièrement, les enfants doivent avoir suffisamment de retenue pour surmonter leur tendance à dire la vérité. En psychologie, on appelle cela le contrôle inhibiteur.
Deuxièmement, ils doivent avoir accès à la mémoire à court terme et être capables de créer simultanément des scénarios alternatifs. Troisièmement, les enfants doivent pouvoir passer d’un comportement conforme à la vérité à un comportement en phase avec l’histoire qu’ils inventent ; c’est ce qu’on appelle la flexibilité cognitive.
Les enfants sont plus susceptibles de raconter de petits mensonges lorsqu’ils ont une compréhension émotionnelle élevée et sont capables de saisir la nature, les causes et les conséquences des émotions qui les touchent ou concernent les autres.
Les styles d’éducation jouent un rôle dans le recours à ces petits mensonges. Les enfants qui mentent pour protéger les sentiments d’autrui sont plus susceptibles d’avoir des parents plutôt autoritaires et qui les soutiennent et répondent à leurs besoins. En revanche, les enfants élevés dans un environnement punitif sont plus susceptibles de mentir et de persister dans leur mensonge, peut-être pour se protéger d’une punition sévère.
Des modèles qui influencent les enfants
Le comportement des adultes peut influencer la propension des enfants à mentir ou non. Les enfants qui observent une autre personne recevoir une récompense pour avoir dit la vérité ou une punition pour avoir dit un mensonge sont plus enclins à dire la vérité.
De même, les enfants qui voient que leurs pairs sont récompensés d’avoir avoué un méfait sont plus enclins à dire la vérité. Les adultes doivent donc être conscients que les enfants prêtent autant attention aux actes qu’à ce qu’on leur demande de faire.
Encourager les enfants à dire la vérité en évitant de mentir en leur présence et en les récompensant lorsqu’ils sont francs, même s’ils ont agi de manière indésirable, peut les inciter à être honnêtes à l’avenir.
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À l’âge adulte, beaucoup d’entre nous peinent à admettre que les nuances de gris entre l’honnêteté et la malhonnêteté sont le lubrifiant social de la vie. La comédie sortie en 2009 L’invention du mensonge, avec Ricky Gervais et Jennifer Garner, se déroule dans une réalité alternative où le mensonge n’existe pas. Le premier personnage à apprendre à mentir dans ce film, Mark, interprété par Gervais, ment d’abord pour son propre compte, avant de réaliser que la malhonnêteté peut être utilisée pour aider les autres, par exemple pour réconforter sa mère mourante.
Vers la fin de L’invention du mensonge, Anna, le personnage de Garner, demande à Mark pourquoi il n’a pas utilisé son pouvoir de mentir pour la manipuler afin qu’elle l’épouse. Il répond que « cela ne compterait pas ». Si nous pouvons être honnêtes avec nous-mêmes sur notre relation avec le mensonge, nous pouvons aider nos enfants à apprendre à dire la vérité quand c’est le plus important.
Gadda Salhab, PhD Candidate, Forensic Psychology, University of Portsmouth
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.