« Les agriculteurs souffrent, que faut-il pour que nous soyons entendus ? »

 

« C’est ça, la volatilité des prix du lait : une année, on équilibre ses comptes, puis on s’endette encore » « C’est ça, la volatilité des prix du lait : une année, on équilibre ses comptes, puis on s’endette encore »

Au début des années 2000, je me suis installé en tant qu’agriculteur dans le sud de l’Eure. Mon exploitation correspond à peu près à la moyenne française : j’ai 60 vaches laitières, un peu de céréales, et je travaille avec une salariée à temps complet.

En 22 ans, j’ai connu des crises du lait, des évolutions – voire des incohérences – administratives, des changements de demandes des consommateurs. Et aujourd’hui, comme pour les nombreux agriculteurs qui font part de leur colère, l’avenir de mon métier m’inquiète.

Les années 2000 et les crises du lait

Les années qui ont suivi mon installation n’ont pas été simples. Pendant huit ans, j’ai travaillé 365 jours par an jusqu’à pouvoir dégager un deuxième salaire, et donc pouvoir recruter une deuxième personne, afin d’avoir des temps de pause.

Entre-temps, le prix du lait a connu des crises, notamment celle de 2009 qui a été catastrophique. Le prix d’achat a baissé et pendant une année, alors que notre travail n’avait pas changé, nous nous sommes mis à nous lever tous les matins pour travailler sans rien gagner du tout. La situation est revenue à l’équilibre en 2010, et 2011 a été une bonne année. Mais une « bonne année » ne suffit pas à combler le trou qu’on a fait deux ans avant : pour pouvoir tenir, j’ai dû m’endetter à hauteur de 60 000 euros – une somme que j’ai mis dix ans à rembourser.

C’est ça, la volatilité des prix du lait : une année, on équilibre ses comptes, puis on s’endette encore, en comptant sur des découverts professionnels et des partenaires bancaires qui suivent le projet. Car le prix d’achat n’est pas fixé en fonction des coûts de production, mais en fonction du marché, notamment des marchés internationaux. En décembre 2023, par exemple, Lactalis, une des plus grosses sociétés laitières – qui se porte très bien financièrement – a annoncé un prix d’achat du lait à 41 centimes le litre, alors que le prix d’équilibre pour un producteur est plutôt autour de 44 centimes.

C’est très problématique pour l’ensemble de la filière : cela encourage les autres sociétés industrielles laitières à s’aligner à la baisse et cela précarise les laitiers. Pire : cela dégoûte les jeunes, qui n’ont plus les moyens de s’installer, de rembourser leurs prêts, de payer leur production et de se verser un salaire.

Quand j’ai commencé à travailler, nous étions 1 000 producteurs laitiers dans mon département. Aujourd’hui, nous sommes 350. 30 % des producteurs de lait devraient partir à la retraite sans certitude d’être remplacés dans les années à venir et d’ici à 2027, la France devrait perdre son autosuffisance en produits laitiers à cause de ça.
« Nous faisons les frais du réchauffement climatique »

En plus des variations de prix, nous, agriculteurs, sommes en première ligne des changements dus au dérèglement climatique. Nous faisons face à des conditions d’exercice de notre métier de plus en plus extrêmes. Entre 2018 et 2022, il y a eu plusieurs grosses sécheresses. Dans ce type de cas, comme on ne peut pas produire de quoi nourrir les vaches, on achète du fourrage, et ce sont des frais supplémentaires.

 

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